Le préjudice nécessaire en droit du travail, une théorie en constante évolution

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Le 11 mai 2025
Le préjudice nécessaire en droit du travail, une théorie en constante évolution
La Cour de cassation poursuit son évolution jurisprudentielle concernant la théorie du « préjudice nécessaire ». De nouveaux arrêts importants notamment pour les salariés cadres au forfait jours.

Dans une série d’arrêts rendus le 11 mars 2025, la chambre sociale a affirmé que certains manquements de l’employeur ne donnent plus lieu, de manière automatique, à l’octroi de dommages et intérêts au salarié.

Abandon du préjudice nécessaire dans certains cas

 La preuve d’un préjudice distinct devient désormais indispensable dans plusieurs hypothèses, même en cas de manquement avéré de l’employeur.

Les situations concernées

Le salarié doit désormais prouver un préjudice personnel et distinct dans les cas suivants :

  1. Défaut de suivi médical renforcé des travailleurs de nuit ;
  2. Manquement à l’obligation d’assurer la prise effective des congés payés ;
  3. Absence de suivi de la charge de travail pour les salariés en forfait-jours ;

Forfait-jours : focus sur les nouveaux critères de réparation

Deux décisions concernaient la situation des cadres au forfait jours, souvent au cœur des litiges relatifs à la charge de travail :

  • D’une part, l’absence de suivi de la charge de travail des salariés au forfait jours, en méconnaissance des stipulations issues de l’accord collectif l’instituant et des dispositions légales (C. trav., art. L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65) ;

  • D’autre part, l’application d’un accord de forfait jours ne prévoyant pas de garanties suffisantes en matière de suivi de la charge de travail du salarié. 

Dans ces deux cas, bien que les manquements aient été reconnus, les cours d’appel ont refusé d’accorder des dommages et intérêts, faute de preuve d’un préjudice spécifique.

La Cour de cassation valide cette analyse : le manquement de l’employeur à ses obligations en matière d’évaluation et de suivi effectif de la charge de travail des salariés en forfait jours n’ouvre pas de droit acquis à réparation.

La Cour rappelle que des sanctions légales existent déjà, notamment le paiement des heures supplémentaires. Le salarié dispose ainsi déjà d’un moyen d’action lui permettant d’obtenir une compensation en cas de manquement.

Un mouvement initié dès 2016

Cette évolution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence initiée en 2016, qui avait déjà mis fin à la reconnaissance automatique du préjudice dans plusieurs domaines, obligeant le salarié à démontrer les conséquences concrètes du manquement subi.

Les exceptions maintenues par la Cour de cassation

Cependant, la théorie du préjudice nécessaire n'a pas totalement disparu. La Cour continue de la retenir dans certains cas où l’atteinte est jugée suffisamment grave pour justifier une réparation automatique. C’est notamment le cas pour :

  1. Perte injustifiée d'emploi (Cass. soc. 13 septembre 2017, n°16-13.578) ;
  2. Non-respect des durées maximales de travail (Cass. soc. 26 janvier 2022 n° 20-21.636 ; Cass. soc., 2 avril 2025, n° 23-23.614) ;
  3. Violation des temps de repos (Cass. Soc. 7 février 2024, n° 21-22.809) ;
  4. Violation de la vie privée (Cass. soc. 12-11-2020 n° 19-20.583)
     

Dans ces hypothèses, aucune preuve de préjudice distinct n’est exigée : le seul constat de la violation suffit à ouvrir droit à réparation.

Quels impacts pour les employeurs et les salariés ?

Pour les employeurs

Le risque de condamnation automatique diminue dans certaines situations. Néanmoins, la vigilance reste de mise, notamment en matière de santé au travail, de suivi des forfaits jours ou de gestion des congés.

Pour les salariés

Les cadres au forfait-jours, mais aussi d’autres salariés concernés, devront désormais étayer leurs demandes en apportant la preuve concrète du préjudice subi. Cela rend les contentieux potentiellement plus complexes à instruire, mais pas impossibles à gagner si le dossier est bien préparé.

Une jurisprudence à suivre de près

Cette série d’arrêts marque une volonté claire de la Cour de cassation d’encadrer plus strictement la notion de réparation en droit social, en recherchant un équilibre entre les droits des salariés et la prévisibilité juridique pour les employeurs.

Il est donc important de rester informé de ces évolutions pour adapter les stratégies contentieuses et le conseil en conséquence.

Le Cabinet se tient à vos côtés, n’hésitez pas à me contacter.

 

Cass. soc, 11 mars 2025, RG nº 21-23.557 ; Cass. soc, 11 mars 2025 RG nº 23-16.415 ; Cass. soc, 11 mars 2025 RG nº 24-10.452 ; Cass. soc, 11 mars 2025 RG nº 23-19.669